Deux comme-Un. De la communauté

 


"Je dirais, d'après ce que j'ai vécu dans différentes circonstances, que les amis sont ceux avec lesquels on a l'essentiel en commun. On ne peut pas être copains avec un type du front national, ce n'est pas possible.” (Jean-Pierre Vernant)

L’idée d’une communauté amicale – voire d’une amitié communautaire – remonte sans aucun doute à l’Antiquité. Le premier concept grec de « cité » ou de civilité relevait bien de cet ordre tant qu’il demeurait inféodé aux idéaux aristocratiques d’une classe dominante essentiellement guerrière. C’est ce qui régit encore vaguement les relations (volontiers « viriles ») de confrérie ou de camaraderie fondées à la fois sur l’égalité et la rivalité, mais aussi la solidarité. La solidarité est essentielle pour préserver la solidité du tissu communautaire. Cependant l’essentiel reste encore et toujours la reconnaissance au moins implicite d’un chef et le rassemblement autour de valeurs « communes ». 

Mais, comme le rappelle J.-P. Vernant à propos de Platon, le tissu n’est rien sans l’art consommé du tissage, de même que la cité ne peut vivre sans l’autorité éclairée d’un roi-tisserand (selon Platon). Pour tisser il faut associer la chaîne, masculine et verticale, à la trame, féminine et transversale. C’est donc à partir de la différence — des forts et des doux, des fougueux et des tempérés — que se construit l’unité de la cité. Or l’équilibre peut toujours être rompu, et le tissu déchiré. A la place de cette dualité union/division, condition d’intelligibilité politique selon Platon, le penseur moderne introduira justement une "déchirure" plus essentielle, ou une différentiation plus subtile, comme condition d’existence du lien communautaire. Le tissu n’est solide que lorsque la tresse, et donc la division, est à la fois fine et serrée ; plus encore il n’est fiable que s’il peut être virtuellement déchiré, desserré. Cela définit en même temps la fidélité politique ou amicale : pour se montrer fidèle à un lien, lorsqu’il n’est plus viable, il faut rester fidèle à soi-même et rompre le lien. Ces deux conditions négatives d’une division implicite et d’une déchirure virtuelle préservent – à peine paradoxalement – la possibilité du lien. C’est ainsi que le Deux-comme-Un peut faire communauté-du-Deux. C’est ainsi qu’une « communauté des Etrangers » (autre que communautariste) existe(ra) en tissant de nouveaux liens, de nouvelles formes de solidarité.

dm


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